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Le fabuleux destin de Thérèse, l’abeille allergique au pollen

Il était une fois une abeille nommée Thérèse.

Née dans une ruche à la campagne à quelques heures de bzzz de Paris, Thérèse aimait se réfugier tout en haut du vieux chêne à proximité de la colonie. Bien installée dans une feuille en forme de hamac la jeune abeille pouvait passer des heures à observer les champs alentours, tachetés ici et là de fleurs de coquelicot que l’insecte s’amusait à compter. Seule une ligne de peupliers à l’horizon venait perturber le jaune uniforme des cultures de colza, largement dominantes dans cette région.

Lorsqu’elle laissait aller son imagination, Thérèse se voyait tout quitter pour rejoindre Paris et vivre l’existence exaltante d’une abeille des villes. Par ailleurs elle avait une particularité tout à fait unique qui rendait sa vie insupportable à la campagne : elle était allergique au pollen !

Le seul endroit où elle se sentait bien, c’était à 30 mètres au dessus du sol, perchée à la cime du grand chêne. L’air y était si pur.

Une après-midi, alors qu’elle rêvassait sur sa feuille habituelle, Thérèse ne s’imaginait pas qu’au pied de l’arbre se tramait un drame qui allait bouleverser son destin d’ouvrière…

Un escadron de frelons asiatiques fonçait sur la ruche, survolant les hautes herbes à basse altitude pour ne pas être repéré par les sentinelles.

Entendant monter le signal d’alerte Thérèse fut réveillée en sursaut. Effrayée par les bourdonnements assourdissants des frelons, véritables machines de guerre, l’abeille se réfugia à l’abri dans un creux du tronc. Le spectacle était d’une horreur indescriptible.

Tels d’invincibles dragons, protégés par leur épaisse armure, les frelons enserraient les ouvrières dans leurs mandibules acérés, entraînant dans les airs leurs victimes avant de relâcher leur emprise mortelle. Le sol était rapidement jonché d’abeilles sans vie.

Prise par surprise la reine se montrait incapable de coordonner la riposte. Un vent de panique s’emparait rapidement de toute la colonie qui ne tarda pas à se disperser au loin comme un nuage.

Paralysée par la peur Thérèse restait prostrée dans le renfoncement du tronc, incapable de prendre part à une bataille déjà perdue.

Peu à peu la campagne retrouva son calme et les bourdonnements s’éloignèrent. Il se passa plusieurs minutes avant que l’abeille ose sortir sa tête de l’abri. Un théâtre de désolation s’ouvrait devant elle. Le terrain enchanteur où elle et ses copines ouvrières virevoltaient de fleur en fleur s’était soudain transformé en cimetière à ciel ouvert. Un lieu sans vie, effrayant…

Sans demander son reste Thérèse prit ses ailes à son cou. Elle rassembla toutes ses forces et fonça en direction du nord en rase motte pour ne pas éveiller l’attention des prédateurs. Car si au cœur d’un essaim une abeille était presque invincible, seule au milieu de la campagne elle était bien vulnérable.

Concentrée sur sa survie Thérèse allait vite. Ses petites ailes déployaient une force qu’elle-même ne soupçonnait pas, la faisant filer telle une flèche vers la ville qui constituerait désormais son refuge. Les images de sa vie au sein de la ruche défilaient dans sa tête et lui déchiraient le cœur. Finie la vie protégée au sein de la communauté… Il lui fallait tout reprendre à zéro, tout apprendre. Cette idée la désemparait.

Progressivement les cultures étaient remplacées par des forêts de conifères, un paysage fort peu familier pour notre abeille. Thérèse longeait la route à 4 voies qui semblait emprunter le même itinéraire. De nombreux véhicules se suivaient dans un flot incessant, laissant derrière eux des effluves acres assez nauséabondes.

Épuisée après plusieurs heures de vol ininterrompues, l’abeille se posa sur un poids lourd à l’arrêt sur une aire de repos. Elle était affamée. Oh veine ! Une bouteille de lait aromatisé avec forte teneur en sucre était jetée à proximité. Thérèse préférait ces garde-mangers faciles qui lui évitaient la pénible récolte de pollen, laquelle provoquait systématiquement plaques rouges et crises d’éternuement. Elle s’approcha du goulot, mais frayeur ! La bouteille produisait un vrombissement étouffé et en jaillit, tel un diable de sa boite, un jeune bourdon ! Lequel renversa notre Thérèse dans sa fuite.

« Oh je suis sincèrement navré ! Je ne vous avais pas vu, dit le bourdon avec une moustache de yaourt aromatisé. J’aime les saveurs exotiques, dit-il pour justifier sa présence dans ce lieu singulier. Et vous … ???

– Je suis en route vers Paris, je m’appelle Thérèse.

– Ah. Une abeille de la campagne… La ville c’est tellement bien vous verrez ! Il y a tant à voir ! Je suis certain qu’une belle abeille comme vous s’y plaira. Souhaitez-vous être accompagnée pour la suite de votre voyage ? J’habite Paris justement… La vie à la ville n’est pas sans risques vous savez.

– Je sais parfaitement me défendre cher monsieur je vous remercie.

– Très bien mademoiselle. Il ne me reste plus qu’à vous souhaiter bon voyage dans ce cas. »

Et Léon le bourdon s’envola, à contre cœur…

Bien qu’un peu troublée par cette première rencontre avec un bourdon qui ne manquait pas d’aplomb, Thérèse retrouvait un peu d’entrain. Elle allait rester sur le camion ; de fait la suite du voyage fut moins éprouvante. Le flot des voitures grossissait pour se muer progressivement en un fleuve bruyant et lumineux. Le jour baissait et Thérèse découvrait un univers qui n’avait rien en commun avec les vastes prairies cultivées.

De loin les barres d’immeubles lumineuses ressemblaient à un rideau d’épis de blés dressé sur une fourmilière bruyante. Comparaison hasardeuse pour Thérèse qui n’avait jamais rien vu de semblable. C’était donc cela, la ville !

Le camion étant immobilisé au-dessus d’un pont, Thérèse se décida à explorer les environs non sans une pointe d’appréhension.

Il faisait nuit à présent et notre abeille sentait la fatigue. Elle survola un châtaignier qui lui rappelait le vieux chêne familier. Elle se faufila jusqu’au centre du tronc où elle distingua un trou dans lequel elle trouverait un abri sûr. Thérèse s’immobilisa à l’entrée pour s’assurer qu’aucun intrus n’y avait élu domicile.

Mais alors qu’elle pénétrait à l’intérieur… Horreur !!! Un oiseau sombre jaillit et saisit l’abeille dans son bec. Le volatile allait probablement dévorer Thérèse plus loin car il serrait son étreinte pour l’empêcher de s’enfuir. Il volait à une vitesse vertigineuse et prenait rapidement de l’altitude, propulsé par ses ailes puissantes. Le souffle du vent rabattait les ailes de Thérèse qui était incapable de faire le moindre mouvement. Son cœur battait la chamade. La petite abeille savait sa dernière heure arrivée…

Mais soudain une pluie de grêle, ou quelque chose de semblable, s’abattit sur l’oiseau qui fut contraint de ralentir. Thérèse reconnu le bourdonnement d’autres abeilles ! Des dizaines, des centaines, puis bientôt des milliers d’abeilles encerclaient l’oiseau en vol. Le bruit se rapprochait et devenait si assourdissant que l’oiseau commença à pousser des cris d’effroi, desserrant son gros bec et libérant Thérèse.

Ne retrouvant pas l’usage de ses ailes immédiatement, celle-ci tomba en chute libre en direction des toits. Mais une poignée d’ouvrières parvint à la rattraper in-extremis dans une feuille de platane déployée comme un drap.

L’abeille avait perdu connaissance dans sa chute vertigineuse. Mais quand elle rouvrit les yeux, elle crut halluciner… Léon !!!

Le bourdon se tenait tout fier face à elle, en tenue de combat, entouré de sa garde rapprochée.

« Mais Léon ! Que faites-vous ici ?!? Vous m’avez suivie ?

– Parfaitement votre altesse. Il était de mon devoir de m’assurer que le voyage de son altesse jusqu’à la capitale se déroule sans encombre.

– Votre altesse ? Mais à qui donc parlez-vous ?!?

– A vous très chère. Vous n’avez rien d’une ouvrière. Vous l’ignorez sans doute mais vous êtes une jeune reine, très certainement élevée dans le secret pour être mieux protégée.

– Mais comment le savez-vous ?

– Les bourdons savent reconnaître une reine votre altesse. Et si je puis me permettre, votre beauté vous distingue d’un million d’autres abeilles…

Pour la première fois de sa vie, Thérèse rougit.

– Je dispose d’une armée de 10 000 abeilles sous mes ordres. Cette colonie m’a été léguée par ma mère, la très vénérable reine du miel de Tilleul, le meilleur de toute la région. Acceptez moi pour bourdon et nous bâtirons ensemble une ruche prospère, j’en fais ici le serment.

– Mais c’est que…

– Je vous en prie. Acceptez.

– Enfin comment dire…

– Permettez-moi d’insister !

– (après un long moment d’hésitation)… Je suis allergique au pollen ! »

Un silence figea toute la colonie, déboussolée par la révélation fracassante de Thérèse. Peu à peu les murmures et les regards interrogateurs s’échangeaient entre les ouvrières, perplexes. Des milliers de petits bourdonnements. La garde rapprochée du Bourdon adressait à celui-ci un regard désapprobateur qui en disait long…

Mais sur un ton martial, dressé sur ses pattes pour s’assurer que chacun l’entende, Léon lança :

« Et bien dans ce cas, nous ferons de la confiture !!! »

Après un nouveau silence interminable, un bourdonnement commença à gronder et à se répandre dans toute la colonie, comme une vague. Mais un bourdonnement d’approbation cette fois-ci. Les abeilles célébraient cette magnifique idée.

Thérèse fut estomaquée par la réaction du bourdon. Soudain elle réalisa qu’elle avait devant elle un insecte visionnaire qui avait su la comprendre et l’aimer comme elle était. Elle le savait, c’était à ses côtés qu’elle voyait son avenir.

Un seul regard entre les 2 insectes suffit. Le bourdon et ses gardes firent une haie d’honneur à Thérèse. Auréolée de son nouveau statut la reine s’avança vers la colonie, ovationnée par les 10 000 ouvrières toutes acquises à sa cause. Puis elle s’élança dans les airs, très vite rejointe par la colonie toute entière.

Léon guida sa bien-aimée jusqu’à la ruche qui était installée sur le toit d’une église, non loin de là. Elle fut accueillie dans sa nouvelle maison avec les égards dus à une reine.

C’est ainsi que commença la nouvelle vie de Thérèse, qui se révéla rapidement être une excellente souveraine. Ses ouvrières, heureuses, produisaient une quantité impressionnante de confiture de prune, celle que Thérèse préférait. Baptisée confiture de la reine Thérèse, sa réputation traversa tous les ruchers de France et assura la prospérité de la ruche. Une recette dont seule Thérèse connaissait le secret… Ainsi que Léon !

Ghislain Journé

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