Rémi Dupouy

Rémi Dupouy

Rémi Dupouy réveille la France « wild »

Nous avons rencontré Rémi Dupouy, aux commandes du programme Into the french wild dont la deuxième saison sera diffusée à partir de novembre sur Nat Géo Wild. L’émission s’inspire entre autres de « Man vs. Wild » (l’homme contre la nature), célèbre programme diffusé aux Etats-Unis entre 2006 et 2012 sur Discovery.

Mais n’allez pas chercher de points communs entre notre Rémi national et Bear Grylls, la star emblématique de l’émission américaine. La philosophie d’Into the french Wild est bien différente de celle du show dans lequel Grylls se voit parachuté dans un milieu sauvage réputé hostile, tel un soldat marine.

Car malgré l’énorme succès du programme outre atlantique, on pouvait s’interroger sur son adéquation aux enjeux de notre époque. Désormais, du Pape au Président des Etats-Unis, tout le monde prêche pour le « man loves wild ». Et Rémi Dupouy n’y fait pas exception en proposant avec Into the French Wild un regard rafraîchissant sur la nature environnante.

Tandis que Nicolas Hulot et Yann Arthus Bertrand consomment du carburant pour vous montrer des paysages lointains, « Rémi The Wilder » (Rémi le sauvage) brûle des calories pour vous présenter notre belle France. Suivez le guide…

Bonjour Rémi. Tu lances la saison 2 d’Into the french wild sur Nat Geo Wild. Quel est le concept de cette nouvelle émission ?

Portrait 2Into the French Wild est une série documentaire d’immersions sauvages en temps réel, au terme desquelles je tente d’observer dans leur milieu naturel nos espèces animales les plus remarquables, sans les déranger. Je progresse parfois seul, mais des spécialistes m’accompagnent sur certaines portions pour me mettre sur la voie et nous donner des clés de compréhension de ces écosystèmes et des espèces qui les habitent. Pour cette deuxième saison, nous pistons le lynx dans le Jura, le mouflon en Corse, et la cigogne noire en Bourgogne. Ces films seront diffusés à partir de novembre sur Nat Geo Wild tandis que France 5 rediffusera cette année les épisodes de la première saison ; la quête du vautour fauve dans le Pays Basque, de l’ours dans les Pyrénées et du bouquetin dans les Alpes.

On peut donc découvrir le « Wild » sans forcément partir loin* ?

Le « Wild », le sauvage, est partout autour de nous, à dose variable bien entendu. En ville, ce ne sont parfois que des bribes ou des reliquats de la nature qui jadis recouvrait nos territoires, alors que là où nous tournons, ce sont des espaces encore préservés car isolés, mais jusqu’à quand ? L’homme avance partout, et certaines espèces sont acculées. Cela dit, mes équipes et moi-même nous sommes plus mis en danger en Corse ou dans les Pyrénées qu’au fin fond de l’Amazonie ou au-delà du cercle polaire… Le conte « Into the Wild », adapté au cinéma par Sean Penn et devenu culte, nous parle de l’Alaska comme d’un graal, mais je peux dire que le Monte Cinto en Corse, l’île d’Ouessant ou le Jura profond offrent les mêmes rêves de lointain tout près de chez nous.

*  En référence au célèbre roman « Into the wild » de Jon Krakauer, adapté au cinéma.

Dans un précédent épisode, tu pars à la découverte du cerf élaphe dans les Landes et l’expédition n’est pas sans rappeler les aventures d’Indiana Jones… Cette biodiversité française n’est-elle pas un mirage à l’heure de l’urbanisation et de l’agriculture intensive ?

Nous avons en effet lancé ce concept en tournant dans ma Gascogne, le coin de France que je connais le mieux, et qui prend des airs de tropiques à certaines saisons, notamment quand des averses dignes des forêts pluviales arrosent nos sous-bois, que la côte atlantique se change en mer de sable, ou que l’on se hisse jusqu’à la canopée d’un océan de pins… Mais ne nous voilons pas la face : nous racontons parfois de belles histoires. Ce boisement landais est une monoculture relativement pauvre en biodiversité, et les dunes ont été fixées par l’homme. Cela dit, l’extraordinaire est encore présent dans nos campagnes, nos montagnes et sur nos littoraux, même anthropisés. A nous, naturalistes, de le faire découvrir !

Y aura-t-il un parti pris sur les questions environnementales, à l’instar d’autres émissions proposées autrefois par Nicolas Hulot ou Yann Arthus Bertrand aujourd’hui ?

Bien entendu. Il faut conscientiser, c’est le but des naturalistes qui travaillent en télévision, du moins je l’espère. Personnellement, j’aime ce média total, couplant son et image, dont les évolutions techniques permettent d’aller toujours plus loin dans l’immersion sauvage et le partage d’émotions. Et ce sans pour autant tourner le dos à une écriture et un éditorial engagés, parfois décalés, et ayant pour but l’enrichissement culturel. Cela dit, je milite pour une troisième voie, ni préservationniste ni de géographe expansionniste : celle de la conservation. Nos espaces naturels et nos espèces seront à mon sens sauvés si l’on parvient à y intégrer une activité humaine durable et responsable, pas sans elle. Sanctuariser, c’est parfois souhaitable, mais la nature sous cloche partout, je n’y crois pas pour le millénaire à venir.

La passion de la nature est avant tout une histoire de transmission, en particulier pour toi qui a grandi au cœur d’une exploitation familiale dans le sud-ouest de la France. Peux-tu nous en dire quelques mots ?

Mon grand-père était un éleveur amateur passionné, qui m’a appris à mirer les œufs, à faire naître, à apprivoiser ou à accompagner vers la mort. Ces processus ne sont autres que les principes d’observation et d’interaction avec la vie sauvage appliqués à la vie domestique. Je crois pouvoir dire aujourd’hui que je comprends mieux la nature en ayant commencé par être éleveur, en entretenant, en soignant, en sélectionnant, et surtout en observant mes animaux, mammifères ou oiseaux. Les aimer, bien sûr, mais avant tout les connaître pour mieux répondre à leurs besoins, parfois exigeants. Des Pyrénées à l’Atlantique, la nature de chez moi m’a quant à elle transmit l’amour des grands espaces et la fascination active pour l’animal et son comportement.

Tu élèves encore aujourd’hui une véritable ménagerie je crois…

Mes études, mes voyages et mon travail m’ont un peu obligé à mettre la pratique de l’élevage et la détention d’espèces rares entre parenthèses. Faisans, eiders et perroquets ne m’attendent plus au jardin. Mais même si je vis aujourd’hui en mouvement, c’est avec le désir permanent de rentrer passer du temps avec mes chiens, un Alabai et un Kangal, mes paons, mes pigeons… en attendant de pouvoir reprendre moutons, chevaux, grues, cygnes et flamants ! Je développe aussi un projet naturaliste et ornithologique près de chez moi.

Avec ses deux chiens : un Alabai (race afghane) et un chiot Kangal (race turque).

Avec ses deux chiens : un Alabai (race afghane) et un chiot Kangal (race turque).

Qu’as-tu appris au contact des animaux ?

Bien davantage que ce que le petit garçon d’alors ne l’aurait imaginé aux temps de l’insouciance, faits de contemplation et d’éveil à la vie sauvage : la responsabilité de l’homme vis-à-vis de la nature, le respect de l’originel, l’attention au vivant, l’instinct de survie et l’adaptabilité. Mais aussi, par le biais de l’observation, une sensibilité à l’esthétisme, au mouvement et à l’étude du comportement, ladite éthologie. Et peut-être ce sixième sens que l’on prête au sauvage et qui, à mon avis, sommeille en chacun de nous ?

As-tu un souvenir marquant avec un animal ?

Il y a quelques mois, au Sud de la Colombie, un guide local m’a conduit en pirogue sur l’Amazone-même. A la nuit tombée, autour de sa petite embarcation, des souffles d’air ont commencé à se faire entendre à la surface du fleuve. C’était des dauphins roses qui répondaient aux appels de la main du pêcheur dans l’eau tiède ! Au cœur du silence, une femelle s’est approchée, et a jailli de l’eau verticalement, juste à côté de moi ! Le guide m’a alors fait part de la légende qui raconte que ces mammifères si proches de l’homme cherchent parfois à en séduire un à la nuit tombée, pour l’emmener dans leur royaume…

L’autre jour au jardin des Tuileries, deux jeunes femmes assises à côté de moi luttaient à coups de magazines de mode contre des abeilles qui semblaient les importuner… Ces comportements courants traduisent la distance qui se creuse entre l’humain et la nature. As-tu un message à faire passer à ce (large) public ?

Je crois qu’il y a surtout un grand manque de connaissance de la nature et d’entretien du lien homme-animal dans nos sociétés modernes. Quand j’emmène mes chiens au marché, quand un chat se met à miauler dans une gare, ou que la police montée fait irruption sur une place comble, les gens sont étonnés, voire ébahis ! Et dire qu’à deux heures de vol de Paris, au Maroc ou en Roumanie, ou même dans nos campagnes, les animaux rentrent dans les maisons ! Le gouffre est vertigineux ! Mais c’est aussi alarmant quant au caractère ténu de ce lien à l’heure actuelle, que rassurant de voir que nous y demeurons sensibles, même quand nous connaissons si peu de choses au sujet du vivant. La « pensée sauvage » décrite par Lévi-Strauss était pour lui un attribut humain inné et universel, mais dégradable par nos modes de vie trop « civilisés », ou aseptisés à outrance, sur le fond comme sur la forme. Mon message serait celui de se laisser fasciner sans céder au formatage ou aux idées reçues. Le pigeon, la guêpe ou la ronce ne sont pas « mauvais », pas plus que le panda, la coccinelle ou le lapin ne sont « gentils ». Chaque espèce, chaque race possède une raison d’être et une place précise dans un écosystème donné, ou au sein de nos sociétés. Toute disparition menace le grand édifice.

Dans le premier épisode tu cours après un faisan, grimpes aux arbres et n’hésites pas à imiter le lézard dans le sable… Tu ne serais pas un peu « wild » comme garçon ?

C’est bien possible ! Et j’accepte le « un peu », car si pour un Français du XXIe siècle, je suis un peu bizarre et hyperactif, je me suis senti bien peu sauvage auprès des indiens lacandons ou des gauchos argentins ! Finalement, si on peut certes me croiser en soirée dans les grandes villes de ce monde, car je suis et veux rester un jeune de mon siècle, « in » et connecté, je considère comme ma mission de communiquer ma curiosité vis-à-vis du monde sauvage et domestique. Dont je suis loin de détenir tous les secrets ! D’où la présence justifiée de ces experts que je rencontre dans mes films et reportages. Pour ma part, je me veux médiateur, simple passeur ou témoin : que ma passion soit toujours au service de la (re)connaissance de la nature comme source infinie d’équilibre, d’émerveillement, de savoir et d’inspiration.

Propos recueillis par Ghislain Journé.

Revoir le premier épisode d’Into the French Wild :

 

 

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