Vieux tracteur

Nostalgie d’une belle époque

Un ami professeur d’école à la retraite m’a fait cadeau d’un livre étonnant édité en 1925 : « Guide pratique de la basse-cour moderne ». En ouvrant le livre je tombe sur le titre « Economie de l’exploitation ». L’introduction donne un bon aperçu :

« Tout l’enseignement économique peut se résumer en une ligne : produire au plus bas prix ; vendre le plus cher possible ».

Les dés étaient déjà jetés il y a 90 ans !

Photo2Certes l’analyse vaut pour tous les secteurs du commerce. Mais elle prend une symbolique particulière en matière d’agriculture. Car près d’un siècle plus tard, on peut tirer le bilan de cette approche productiviste en faisant une rapide comparaison entre la fermière d’alors et l’éleveur d’aujourd’hui.

En 1925, « quand une fermière a vendu au marché une paire de poulets 18 francs (…) c’est neuf francs nets qui tombent dans le bas de laine de la maison, et trois autres francs qu’elle reçoit en échange de ses soins, de sa peine, de ses débours (…). » L’auteur explique que les 9 francs correspondant au prix de revient (une fois prélevés les 9 francs de bénéfice) ne doivent pas être vus comme des charges au sens stricte, puisqu’une partie (3 francs) correspond à la rémunération de la fermière et le reste aux charges résultant de la production globale de l’exploitation. On comprend alors que l’élevage des poulets n’implique aucun achat externe, tout est produit sur la ferme et facturé au prix de revient.

L’auteur conclut que l’activité génère un bénéfice « très intéressant ». Il désigne les produits de la basse-cour, « tels qu’ils sont obtenus dans nos campagnes »… Nous sommes alors en 1925.

Revenons à présent en 2015.

Nous avons pris le parti de prendre en référence le poulet bio car en 1925 la France rurale était dominée par la « petite paysannerie » et les fermes modernes industrielles n’avaient pas encore vu le jour. Allons donc voir ce qu’on trouve dans le commerce dans le rayon des poulets bio :

Poulet Loué

Ce poulet bio 1er choix, probablement proche du poulet de notre fermière d’antan sur le plan de la qualité, coûte 11,62 € / kg. Selon l’INSEE, en comparaison notre poulet vendu 9 francs en 1925 aurait coûté 5 € le kilo en 2015. Nous sommes partis d’un poids moyen de 2 kg, étant précisé qu’à l’époque les volailles profitaient plus.

En près de 100 ans les prix ont donc bondi de 230 %.

Mais qu’en est-il de la qualité ?

Difficile d’en juger concrètement. Toutefois une certitude s’impose : aucun pesticide ni aucun OGM n’a pu être consommé par notre poulet d’antan, dont le régime alimentaire se composait principalement de blé et de maïs. Quant à la liberté, il a très certainement gambadé tout autour de la ferme jusqu’à son arrivée sur l’étal du marché. Car en 1925 les élevages dépassaient rarement les quelques dizaines de volailles et les oiseaux étaient fréquemment élevés en semi-liberté. De là à conclure que ces poulets étaient absolument délicieux, il n’y a qu’un pas que je franchis sans hésiter !

Et l’éleveur, vit-il mieux aujourd’hui ?

Bonne question. Globalement, l’espérance de vie a nettement progressée depuis 1925 et les innovations techniques et technologiques ont incontestablement facilité le quotidien des agriculteurs.

Néanmoins, économiquement le compte n’y est pas et beaucoup d’éleveurs vivent de revenus dérisoires. Nous entendions récemment le cas des producteurs de lait et de porcs… bien que touchés moins durement par la crise, les éleveurs de volailles n’ont pas été épargnés non plus.

Aujourd’hui les marges moyennes (différence entre le prix de revient et le prix de vente) oscillent entre 30% et 40%. Moins que notre fermière, mais sur des volumes il est vrai nettement plus importants.

Toutefois depuis 1925 l’avènement de la grande distribution et de l’agriculture industrielle a vu l’arrivée de nouvelles contraintes parmi lesquelles les intermédiaires et les réglementations multiples. L’émergence d’un marché global n’a pas eu l’effet d’aubaine escompté. D’innombrables normes sont venues réglementer l’agriculture, sans compter la pression des distributeurs dont le pouvoir s’est considérablement accru dans un contexte concurrentiel très rude. Dans cet univers devenu complexe, nos paysans se démènent, souvent étranglés par des investissements financiers très lourds pour suivre les différentes évolutions. Si bien qu’aujourd’hui, revenir sur un modèle de paysannerie locale et familiale s’apparente à un acte de résistance.

Qu’en penserait notre fermière ?

Elle aurait sans doute bien du mal à s’y retrouver dans le monde agricole d’aujourd’hui. Ce qui est étrange car après tout, chacun devrait pouvoir comprendre ce qui assure notre subsistance !

Une note d’espoir pour finir ?

Vous pouvez encourager nos agriculteurs à revenir vers un système dans lequel chacun trouve son compte. Comment ? En achetant directement au producteur ou en privilégiant des produits de qualité dans vos petits commerces de proximité. Choisir un poulet fermier sur un marché, acheter des poules pondeuses pour développer sa production d’œufs frais, voilà des gestes forts. Vous aussi, soyez un consom’acteur !

Ghislain Journé.

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